1) Quels souvenirs gardez-vous du 11 septembre 2001 ?
Pour Michel Vinaver, Ce moment a représenté l’imprévu, l’extraordinaire (au sens étymologique du terme). Il en est resté paralysé pendant quelques heures, ne pouvant plus se lever. A la stupeur et l’effroi, s’est ajoutée aussi une certaine curiosité : Où pouvait aller le monde après un tel événement ?
Par les émotions très fortes qu’il suscite, le « 11 Septembre » dépasse l’événement historique et relève du mythe ; on peut par exemple le comparer à la guerre de Troie.
2) Pourquoi écrire sur cet événement ? A-t-on le droit d’écrire sur cet événement ?
Ce projet était au départ destiné à être mis en musique (projet de théâtre musical en collaboration avec Georges Aperghis, compositeur grec de musique contemporaine)). Finalement, une fois la pièce écrite, quelques semaines après les événements, le projet de mise en musique a été abandonné.
M. Vinaver considère que les écrivains doivent écrire sur le monde qui les entoure, sur l’actualité, que l’on peut écrire sur tout. On ne peut pas écrire n’importe quoi, par exemple tenir des propos racistes ou faire l’apologie du terrorisme mais on peut évoquer de tels sujets. : non seulement, les écrivains peuvent traiter des questions difficiles mais ils doivent le faire, ne pas éluder ces questions.
3) Que représente pour vous le terrorisme ?
C’est une des formes nouvelles que prend la guerre. Le terrorisme est typique des situations de disproportion très forte entre les adversaires ; c’est la forme de guerre empruntée par ceux qui ont des moyens de combat faibles. La pièce ne veut pas dénoncer ou défendre un point de vue : elle vise à l’impartialité.
4) Comment avez-vous écrit cette œuvre ?
On ne sait jamais pourquoi ni comment on commence l’écriture d’une pièce. M Vinaver privilégie le hasard et voit ce qui en découle. C’est une façon de vaincre sa résistance à composer. Il jette tout d’abord des choses sur le papier et cela se construit. La naissance d’une pièce est comme une « petite explosion atomique » : le éléments viennent en désordre et au commencement, l’auteur ne sait pas ce que sera sa pièce.
La pièce a été écrite dans les 3 semaines qui ont suivi l’événement et a été publiée 3 mois plus tard.
Pendant les jours qui ont suivi le « 11 septembre », M. Vinaver a découpé tous les articles des journaux de langue anglaise qui évoquaient l’événement : reportages, témoignages, enregistrements divers…Il voulait restituer ces articles dans leur langue d’origine. Ces coupures de journaux ont été triées, annotées, collées dans des cahiers. Certains passages ont été inventés par l’auteur au moment de la rédaction, notamment les répliques des traders ou la dernière réplique « voix de jeune femme ». Aujourd’hui, M Vinaver serait incapable de dire exactement quels sont les passages « réels » et ceux qu’il a inventés.
Le travail d’écriture s’est apparenté au travail d’un musicien : comme une partition, un livret d’opéra, il a fallu assembler les fragments, « donner forme » aux différents matériaux.
Pour M. Vinaver, la mémoire est fragile et le but de cette œuvre était de cristalliser l’événement dans sa crudité, sa vérité pour fixer ce qui s’était passé, ce que les gens ont vécu.
5) Pourquoi avoir choisi une structure chorale et la technique du collage ?
M Vinaver travaille sous cette forme depuis sa 1ere pièce qui date de 1951 Les Coréens qui met en scène 5 soldats pendant la guerre de Corée : les répliques alignées ne sont pas attribuées à un personnage en particulier et pour l’auteur, il importe finalement très peu de savoir qui parle. C’est ainsi qu’il a commencé à exploiter la structure chorale. La choralité est également intéressante dans la mesure où elle restitue « le bruit du monde », les voix qui se croisent et se superposent.
De plus, cette structure, par l’apposition des fragments permet des frottements d’où peut naître l’ironie ; c’est le principe des collages. Ces rapprochements dans le banal permettent souvent de faire surgir des choses surprenantes. Cette technique du collage est riche de la forme donnée à un matériau au départ concret : c’est comme une fugue de Bach ; tout l’art est dans la recherche d’une esthétique propre.
6) Pourquoi écrire du théâtre ?
C’est, pour M Vinaver, le meilleur moyen de donner des points de vue multiples sans devoir choisir entre ces différents points de vue.
7) Pourquoi la pièce mélange Anglais et français ?
La pièce a d’abord été écrite en Anglais puisque le « matériau » de départ était en Anglais et que l’auteur voulait être au plus près du réel. Lors d’une séance de lecture, destinée à un public francophone, l’auteur a senti la nécessité de traduire cette pièce. Cette œuvre a également fait l’objet d’une lecture à 2 voix en duo avec un acteur américain. La traduction est assez libre, en fait, non littérale.
Les chœurs sont restés en Anglais car ils sont là pour représenter « le bruit du monde » ; ce sont des fragments du réel qui ne racontent rien en définitive : des pubs, extraits d’émissions…C’est comme une musique de fond ; ce n’est pas grave qu’on ne la comprenne pas, d’où l’absence de traduction.
8) Pourquoi la pièce s’achève-t-elle par « et maintenant… »
Cela montre l’intérêt de l’auteur pour l’immédiat, pour l’instant, pour ce qui est en train de se produire. Le 1er titre de la pièce les Coréens était Aujourd’hui. Cette fin est aussi une ouverture et marque un refus de conclure.
9) Quand avez-vous commencé à écrire ?
A 9 ans, M Vinaver a écrit ses premiers textes dont le récit d’une journée d’école et sa première pièce de théâtre La révolte des légumes qui raconte la révolte des légumes contre la tyrannie d’un jardinier…
Il y a aussi eu des périodes où il n’écrivait pas et a exercé une autre activité professionnelle pour ne pas dépendre financièrement de l’écriture. Il a voulu exercer une profession éloignée de l’écriture. Par hasard, il a répondu à une petite annonce et a commencé sa carrière chez Gillette suite à un malentendu : embauché pour des compétences de juriste qu’il n’avait pas… IL avait fait des études de lettres.
Du fait de sa vie professionnelle et des différents postes occupés, M Vinaver a vécu dans différents pays (Italie, Belgique, USA)
10) Qu’est-ce qui vous inspire ?
M Vinaver s’inspire de l’actualité ; il se dit friand de ce qui arrive et de ce qui est arrivé. Il est également féru de mythes : il aime les histoires primitives, archaïques et cherche des liens entre aujourd’hui et les grands mythes d’hier, entre l’actuel et l’ancien : M Vinaver cherche à relier l’histoire récente aux grands mythes antiques ou aux textes fondateurs comme la Bible. Il n’a jamais réécrit des mythes anciens comme l’ont fait beaucoup de dramaturges du 20ème siècle mais par les liens qu’il établit entre actualité et mythe, il veut donner de « la profondeur de champ ».
11) Que pensez-vous des théories du complot concernant « le 11 septembre » ?
Pour M Vinaver, chaque événement extraordinaire génère la recherche de causes autres que les causes évidentes, c’est à dire rapidement identifiables. Il ne s’intéresse pas vraiment à ces théories mais à ce qui est visible, à ce qui a été vécu réellement.
12) Que pensez-vous du fait que cette pièce va être jouée par des lycéens ?
Pour M Vinaver, cette appropriation du texte par des jeunes gens est passionnante : c’est une façon de vérifier que cette pièce a encore un sens aujourd’hui et quel sens la jeune génération lui donne. Il n’y a donc aucune appréhension de sa part ; il est toujours ravi de rencontrer des lycéens et la nouvelle de ce projet a été pour lui une « vraie bonne nouvelle » !
13) A quelle occasion avez-vous connu Albert Camus ?
M. Vinaver, alors qu’il avait une vingtaine d’années a contacté A Camus alors que celui-ci était un écrivain reconnu, travaillant chez Gallimard. M Vinaver, lors de leur 1ere entrevue, a fait part à A Camus de son désir d’écrire en précisant qu’il n’avait rien à dire… A Camus l’a gentiment reçu et c’est lui qui a fait éditer son1er texte .
14) Comment avez-vous rencontré Arnaud Meunier ?
La rencontre a eu lieu à l’occasion d’une création d’une pièce de M Vinaver au japon par A Meunier. Tous 2 partagent une même idée du travail théâtral et ils forment une sorte d »attelage ». Ils se font confiance et aiment travailler ensemble.
15) Avez-vous une muse ?
La question a fait sourire M Vinaver (et l’assistance). Il précise qu’il a eu des muses mais n’est plus tellement en âge de s’amuser…Dans sa vie, il a connu des influences féminines essentielles et se sent globalement plus proche des femmes qui ont certaines qualités que l’on rencontre plus rarement chez les hommes ; il aime ainsi leur manière d’être en prise avec le réel.
16) Que vous a apporté le fait de travailler en entreprise ?
M Vinaver dit avoir été un cadre heureux ; il a beaucoup aimé son travail : c’était une manière de vivre la vie de tout le monde, de partager avec des gens des préoccupations ou des bonheurs professionnels. Cela a influencé son travail d’écrivain même si ce n’était pas le but recherché. Quand il est devenu PDG, son travail est alors devenu un « poids » et cette fonction engendrait des situations qui ont pu le mettre mal à l’aise. M Vinaver a finalement passé 27 ans chez Gillette en occupant différentes fonctions.
17) Que veux dire M Vinaver par ses pièces ? Veut-il délivrer un message ?
Pour M Vinaver, l’écrivain est comme un archéologue sur un site ; « il fouille la terre » ; il creuse sans savoir ce qu’il va trouver, sans doute du sens mais pas un sens, des « bouts de sens », des connexions », des « lumières » sur le pouvoir, l’amour, la guerre… L’espoir de celui qui écrit est que son lecteur se promène dans son œuvre et fasse ses propres découvertes.
Dans la pièce « 11 septembre », il n’y a pas de « leçon » à tirer. La mise en parallèle des discours de Ben Laden et de G Bush à la fin de la pièce est juste le résultat d’un constat : ils utilisent le même vocabulaire ; cette coïncidence fascinante raconte quelque chose mais : est-ce terrifiant ? Comique ? Au lecteur de choisir…L’écrivain est avant tout un observateur qui tente de « débroussailler » le réel pour y voir plus clair.